Mars    2012

 

Sexologos   #  02


QU’EN EST-IL DE L’ ASSISTANCE SEXUELLE AUX PERSONNES HANDICAPÉES

 

Alors que la question de la gestion, de l’aide et des réponses sociales et éducatives à la vie sexuelle des personnes handicapées piétine depuis une trentaine d’années, on assiste depuis peu à un renouveau des débats qui sont focalisés sur la question de l’assistanat sexuel.
Ce thème, en apparence «nouveau», a comme principal intérêt de bien passer au niveau médiatique et de susciter de la mobilisation et la controverse politique. Le débat oppose des personnalités politiques du même bord politique. L’ex-député UMP Jean-François Chossy, auteur d’un rapport établi en Novembre 2011 à la demande du Premier Ministre, se déclare en faveur de l’assistanat sexuel alors que Roselyne Bachelot exprime sa franche opposition à cette réponse aux besoins des personnes handicapées.
Le débat fait rage parmi les associations de personnes handicapées. Marcel Nuss, du Collectif Handicaps et Sexualité (CHS) et soutenu par l’Association des Paralysés de France, est un grand partisan de l’assistanat sexuel, alors que Maudy Piot de l’Association «Femmes pour le dire» s’y déclare totalement opposée et assimile cette pratique à de la prostitution. Elle est suivie et soutenue dans cette position par le collectif féministe «Handicap, sexualité, dignité».
Comme on peut le voir dans ces deux oppositions, les hommes et les femmes n’ont pas les positions par rapport à l’assistant sexuel, de la même façon qu’ils n’ont pas les mêmes attitudes à l’égard de la prostitution. Handicapés ou pas, les hommes et les femmes n’expriment pas leur vie sexuelle de la même façon. L’assistanat sexuel destiné aux personnes handicapées se trouve ainsi au carrefour de plusieurs problématiques.

 

Assistance sexuelle aux personnes handicapées et prostitution
 
Il n’y a pas de réelles différences entre ces deux pratiques. Au bout du compte, il s’agit bien de proposer des relations sexuelles tarifées. Bien sûr, un certain discours sur l’assistance sexuelle insiste sur les limites à instaurer, ne pas aller jusqu’à la pénétration, s’en tenir à la sensualité… Mais est-ce cela dont les adultes handicapés ont envie ou bien d’avoir des relations sexuelles complètes, y compris pour certains avec des prostituées.
Ce qui, faut-il le rappeler, est un type de relation sexuelle particulier qui concerne moins de 10% des hommes, dans la population générale et peu de femmes.
En outre même si le recours à des assistants sexuels peut aider certains hommes et certaines femmes, et il n’y a aucune raison de s’y opposer cela ne résout pas le problème principal qui est celui de la vie en institution et de la difficulté d’y vivre des relations de couple.

 

Peut-il exister une fonction d’assistant sexuel ?
 
En effet, emmener des personnes handicapées voir des prostituées compréhensives dans le tabou et le silence, cela existe depuis longtemps. Rappelons néanmoins qu’il existe un problème légal. Les personnes ayant des déficiences motrices ou sensorielles sans aucune atteinte cognitive ou mentale sont des adultes libres d’avoir des relations sexuelles avec qui ils veulent et avec qui le veut : le consentement est fondamental. Mais les personnes handicapées mentales sont toujours considérées légalement comme des «incapables majeurs».
Avoir des relations sexuelles avec un «incapable majeur» est prohibé et sanctionné par le code pénal. Le débat se pose de façon radicalement opposée selon que l’on est handicapé mental ou handicapé moteur. Le courant favorable au recours à l’assistance sexuelle représente essentiellement les handicapés moteurs mais ceux-ci ont tendance à parler au nom des handicapés en général. Or, si les déficiences motrices ont en général un effet délétère sur la vie sexuelle dans le sens où ils diminuent l’expression de la fonction érotique, les déficiences intellectuelles et les handicaps psychiques ou neurologiques sont associés, au contraire, souvent à des effets de l’ordre de la désinhibition.
Ce qui ne pose pas le même type de problèmes et appelle des réponses différentes.
On peut ainsi distinguer deux types de réponses. Un aidant sexuel va assister deux personnes handicapées qui ont des restrictions importantes dans leur mobilité corporelle pour avoir des relations sexuelles ou bien par ailleurs il peut aider à la masturbation d’une personne qui ne peut le faire elle-même. Cela se pratique dans nombre d’institutions tout en demeurant tabou. Pour les professionnels médico-sociaux, en particulier des aides médico-psychologiques, et il est clair que pour elles (car il s’agit le plus souvent de femmes), il y a quelque chose dans la sexualité qui va au-delà de la compétence professionnelle. L’éthique professionnelle, dans les professions médicales et médico-sociales, maintient l’interdit de la relation sexuelle avec les patients et les usagers.
Mais pour ceux et celles qui ont affaire à l’intimité corporelle des personnes, qui sont en contact avec leurs organes génitaux dans une relation extrêmement intime, la question se pose de savoir jusqu’où peut-on avoir un contact qui ne soit pas érotique.
Et si c’est le cas, que faire ?.

 

Qui pourrait bénéficier d’une assistance sexuelle ?
 
Le problème est que si l’on se réfère au principe d’égalité, inscrit dans la Constitution, peut-on autoriser certaines catégories de citoyens à avoir un accès organisé à ce qui s’apparente à de la prostitution ? Car même si la prostitution y est tolérée, la France reste un pays abolitionniste qui se refuse à réglementer cette activité afin de ne pas encourager son développement. Créer un statut d’assistant sexuel réglementé créerait donc une brèche.
Mais le climat politique ne s’y prête guère car un rapport sur la prostitution suggérant la criminalisation des clients des travailleurs du sexe a été déposé à l’Assemblée Nationale par la députée socialiste Danielle Bousquet, et le député UMP Guy Geoffroy, soutenus par l’Amicale du Nid. Les clients de l’assistance sexuelle pourront ainsi se trouver pénalisés…
D’autant que la misère sexuelle n’est pas l’apanage des seules personnes handicapées. Les timides, les vieux ou les rouquins et les coiffeurs (comme dirait Freud), et n’importe quel citoyen ayant des difficultés sexuelles ou des difficultés à rencontrer un partenaire sexuel n’auraient-ils pas droit eux aussi à une assistance sexuelle appropriée et personnalisée ?.

 

Les motivations à l’assistance sexuelle
 
Il faut s’interroger sur les motivations profondes des assistants sexuels. On ne retient trop souvent que leur discours humaniste, généreux, altruiste… Mais l’attirance sexuelle pour des personnes handicapées ou mutilées est considérée dans le DSM 4R comme une «paraphilie».
Ces personnes doivent-elles alors être considérées elles-mêmes comme malade parce qu’elles sont attirées sexuellement par des handicapés et qu’elles en font leur métier ? Ou bien sont-elles de pures altruistes qui se sacrifient pour le bonheur des autres ?
Il faut s’interroger sur les motivations sexuelles et psychologiques de ceux/celles qui vont s’engager dans cette activité et ceci afin de protéger les personnes qui auront recours à leurs services.

 

Les obstacles à la vie sexuelle des personnes handicapées
 
Les principaux obstacles à la vie sexuelle des personnes handicapées sont liés à l’organisation institutionnelle de la sexualité. Nous avions publiée en 2008 dans le revue Alter une étude nationale montrant que, quel que soit le type de handicap, le fait de vivre en institution a un effet négatif sur la possibilité d’avoir un partenaire sexuel ou un conjoint de façon générale.
Lorsqu’une personne handicapée vit à domicile, ses chances de nouer et de maintenir une relation sexuelle avec un partenaire, un conjoint ou un cohabitant, sont a peu près équivalentes à celle de la population générale.
Mais lorsque cette même personne vit en institution, ce chiffre tombe à 20%. Socialement, l’idée est ancrée quelque part que les malades d’une façon générale, et les handicapés en particulier, sont des êtres asexués alors qu’en fait c’est les conditions de vie qui sont proposées – imposées – aux personnes handicapées (Giami, de Colomby, 2008).
La prise en compte de la sexualité des personnes handicapées en institution s’est pourtant beaucoup améliorée depuis quelques années.
Il existe davantage de possibilités de mixité mais lorsqu’on analyse le fonctionnement des institutions, on est frappé par la créativité que beaucoup mettent encore en œuvre pour maintenir la séparation entre les sexes. Et lorsqu’elles tolèrent les rapprochements entre hommes et femmes, c’est souvent à des conditions très encadrées. Il faut parfois être marié ou avoir une relation stable… Mais lorsque l’on dit que la sexualité est réprimée dans les institutions, ce n’est pas toute la sexualité.
Paradoxalement, c’est surtout la sexualité hétérosexuelle alors que l’homosexualité, la masturbation et d’autres types de conduites sexuelles sont davantage tolérées.

 

Santé sexuelle et droits humains
 
La France paraît très en retard sur ces questions lorsque l’on voit émerger au niveau international une réflexion sur les droits de l’Homme appliqués aux questions touchant à la sexualité.
Si l’on considère que la sexualité constitue une dimension centrale de l’identité et de l’épanouissement individuel et de la santé, elle est alors un droit.
Et le fait de s’opposer à ce que certaines catégories de la population puissent avoir des relations sexuelles, constitue une violation de ce droit.

C’est dans ces termes que le débat se pose et pas, dans le simple fait de pouvoir avoir des relations sexuelles.
Il s’agit de développer une conception positive de la sexualité en tant qu’élément fondamental de l’épanouissement des individus.

Les questions de mœurs et de sexualité dépassent les clivages politiques : elles sont de vraies de questions de société, des questions morales et les personnes handicapées ne doivent pas en être exclues, pas plus qu’aucun autre groupe de la société.
 

 
RÉFÉRENCES
  - Giami, A. (1999). Les organisations institutionnelles de la sexualité. Handicap - revue de sciences humaines et sociales, 83, 3-29.,

  - Giami, A., & de Colomby, P. (2008). Relations sociosexuelles des personnes handicapées vivant en institution ou en ménage : une analyse secondaire de l’enquête «Handicap, incapacités, dépendances» (HID). ALTER, Revue européenne de recherche sur le handicap, 2, 109-132.,
 

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