Sexologos  n° 27

NMars   2007 

Xavier LATOUCHE

Publications
 

L’image de soi. 

 

  Il est surprenant de constater à quel point un de nos modes d’expression incontournable et aussi le plus universellement utilisé, est aussi aujourd’hui le plus contesté. Je veux parler de l’apparence, qui a comme traduction directe l’image de Soi.
Nous vivons, entend-on dire, dans une civilisation de l’image, «le culte du corps», «la dictature de l’apparence».
Cette contestation vient de gens qui s’expriment eux-mêmes au travers de comportements et d’apparences, reflets de leurs états psychiques intimes. Et il est bien difficile de faire autrement, si l’on se réfère, aux termes du philosophe Berkeley, pour qui : «être, c’est être perçu».

L’apparence est faite d’une infinité de petits détails, les uns liés au physique : État cutané, carnation, taille, poids, phanères,
D’autres, au revêtement de l’enveloppe physique :
Vêtements, coiffures, bijoux, chaussures, tatouages, parures
D’autres enfin relèvent des comportements :
Agressivité, séduction, compétition, désespoir…
C’est sans doute là qu’on entre de plain-pied dans les univers intérieurs.

On n’échappe pas à l’apparence, parce que l’apparence, c’est la représentation, l’émission de l’image de soi, faute de quoi, on disparaît. L’absence d’apparence correspond à la néantisation de l’Être.

 

LES TROIS IMAGES DE SOI.

 

Le terme «Image de Soi» recouvre trois sens auxquels on peut donner trois noms différents :

1°) L’image objective, c’est celle que capte l’appareil photo, c’est l’image réelle de l’objet, c’est celle qui représente la Vérité à l’état pur, c’est l’image authentique, incontestable, inaltérable. Pour des raisons de commodité, nous l’appellerons l’IMAGO.
Cette IMAGO est à bien différencier de celle que définit S. FREUD dans le cadre psychanalytique (image symbolique accordée à une personne avec la puissance qu’on rattache à ce symbole.)

Aussi simple qu’en paraisse la définition, elle est extraordinairement fragile et mouvante pour ne pas dire improbable et instable, en effet elle est soumise à deux aléas : Le temps et la perception.

Le temps, parce que cette image est soumise à des changements permanents, à des infinités de modifications successives et souvent imperceptibles mais qui peuvent se révéler essentielles. Or, l’image objective, dont nous parlons, est le prélèvement au hasard, d’un exemplaire au sein d’une infinité d’images successives qui correspondent si l’on veut bien, à des suspensions du temps, à des «arrêts sur image». C’est l’image scanner d’une «tranche de Soi»

Malgré tout, dans la vie, il n’existe pas de rupture dans le temps, c’est un continuum et cet arrêt ne peut être qu’artificiellement décidé et défini. Il faut donc en conclure que l’Imago ne peut être qu’une construction virtuelle, basée sur un aspect défini à un temps T1, et qui sera une approche probablement objective en se réservant quand même un epsilon d’erreur, lié à la différence entre le virtuel et le réel. Autrement dit, l’objectivité de l’image ne peut en aucun cas être liée à sa permanence mais bien plutôt à sa rémanence.

La perception, qu’elle soit sensorielle ou instrumentale, va participer à l’objectivité de l’Imago. L’appréhension instrumentale a comme principal intérêt de pouvoir perfectionner l’instrument jusqu’à une quasi-perfection (moins l’epsilon déjà évoqué), et puis il permet la conservation de l’image à un instant donné qu’il va être précieux de noter et d’associer à notre image :
Il s’agit de telle personne, à telle date, à telle heure et à tel endroit. Ainsi définie, elle n’est à nulle autre pareille.
La perception sensorielle par contre peut faire subir des epsilon beaucoup plus importants, associés à des charges liées à l’affect et il est clair qu’alors on est totalement en dehors d’une image objective de soi.

On peut ainsi dire à la suite de Kant, «nous ne connaissons des choses que ce que nous y mettons». Autrement dit, l’image est quelque chose de perçu d’une certaine façon et sur laquelle nous projetons notre manière de voir les choses, à travers un prisme, notamment culturel, mais aussi psychologique.

Si l’on se situe dans une vision Platonicienne, la Vérité de l’être se situe au niveau du modèle et non pas de son image, puisqu’elle est pervertie par la perception.
Suivant le cas, il peut s’agir soit de la perception de l’image que chacun a de lui-même, ou bien de la perception que les autres ont de vous-même.


2°) L’image que l’on a de soi : l’IMAGIS

Marque l’écart existant entre l’image de la photographie (ne parlons pas du miroir, car l’image en est déjà inversée), et l’image corticale, correspondant à la cartographie des aires sensorielles de notre cortex cérébral, forgée et renforcée par l’ensemble des appareils perceptifs.

On pourrait encore jusqu’à là rêver d’une certaine objectivité de l’image, mais, le croisement des images entre hémisphère droit et hémisphère gauche, les connexions profondes avec les aires visuelles, auditives gustatives et olfactives, les connexions mystérieuses avec notre cerveau archaïque et notamment avec le non moins mystérieux rhinencéphale, le cerveau limbique, siège de nos émotions, toutes ces connexions inconnues qui nous mettent en relation avec notre enfance, notre culture, nos parents, notre vécu récent ou ancien, tous ces liens immédiats vont stimuler notre affect et créer des distorsions de l’image en positif ou en négatif, qui vont nous éloigner d’autant de l’image objective.
Par contre, l’équilibre et le bien être demandent que ces deux images ne soient pas trop éloignées l’une de l’autre, sous peine de ressentir une grande souffrance, qui, si elle devient permanente, peut conduire au stade de pathologie névrotique, voire psychotique, telles qu’on les retrouve dans les états border line, ou dans les schizophrénies avérées.

Toute la difficulté consiste à appréhender au mieux l’image que les autres ont d’eux-mêmes, à partir de leur témoignage, de l’image objective, et de…
.


3°) L’image que les autres ont de vous : L’IMAGINIS

Cette dernière est sans doute la plus complexe et la plus insaisissable des trois.
Outre le fait qu’elle soit liée chez le spectateur à tous ses affects, son vécu, ses antécédents, elle va, c’est bien évident, être différente pour chaque spectateur, il y a donc autant d’images que les autres ont de vous que de gens qui vous regardent.
En théorie seulement, car on peut faire une sorte de moyenne des points communs entre ces diverses perceptions.

Il se dégage donc de cette description de l’image que les autres ont de vous deux qualités fondamentales et qui régissent très largement les relations inter humaines et la communication, je veux dire :
- la subjectivité totale et la plasticité
- l’interactivité
Et c’est dans l’interactivité de l’Imago, de l’Imagis, et de l’Imaginis, que l’apparence a un rôle primordial, puisque ce sera l’outil de l’interactivité, qui pourra aller jusqu’à la manipulation.

 

LA SYMBOLIQUE DE L’APPARENCE.

 

Ainsi la symbolique de l’apparence relève du jeu subtil et des rapports complexes qui s’établissent entre l’Imago, l’Imagis et l’Imaginis.

La vision d’une image peut se faire de deux façons :
- soit sous un angle synthétique, et elle est alors immédiatement rattachée à un ensemble de symboles
- soit sous un angle analytique, et l’on peut au mieux alors se rapprocher de l’Imago, de la Vérité.

 

1°) L’apparence est habituellement le reflet
- d’une identité : ethnique, sociale, religieuse, ou culturelle
- et d’un état psychique.
 
A) La symbolique identitaire est très importante, elle a l’avantage de laisser planer peu de doute habituellement sur son interprétation. Ceci est tellement vrai que l’on a fabriqué des stéréotypes et que ces stéréotypes sont utilisés pour décrire, stigmatiser, sanctionner certaines catégories sociales ou ethniques.

Quelques exemples de symboles identitaires ethniques liés à l’apparence :
- les scarifications rituelles,
- les vêtements folkloriques et traditionnels,
- certains tatouages ( Maoris)

Il est sans doute inutile de rappeler les symboles identitaires religieux, qui sont tellement forts, qu’il a été jugé nécessaire en France d’établir une loi sur leur port à l’intérieur des établissements scolaires, qui a été ressenti comme une atteinte ou un danger pour la laïcité, pilier de notre tradition républicaine.

L’apparence est aussi, bien souvent, l’occasion de se démarquer dans une identité sociale, par le port de vêtements spécifiques surtout.

 

B) L’apparence reflet de l’état psychique est une sorte de truisme, en effet, la façon dont on s’habille le matin reflète l’état dans lequel on s’est réveillé, même si ce n’est pas le seul critère.
La tenue de deuil évoque bien l’état intérieur dans lequel on se trouve, et il est probable que l’apparence a aussi une influence sur l’état psychique. En dehors des vêtements, les comportements, les mimiques et même les rides vont traduire (ou trahir) notre état psychique.

 

2°) L’apparence est alors outil

Tout le monde sait aujourd’hui que l’on ne se présente pas à un entretien d’embauche mal rasé, avec une tache sur son col de chemise et avec des cernes sous les yeux.

Il existe des organismes spécialisés dans la transformation de l’apparence dans un sens plus positif. Pour être plus positif encore, il est de bon ton d’en changer le nom : l’apparence devient le «LOOK». Ceci traduit bien l’engouement qui existe actuellement pour ce jeu social quasi universel du «montre moi qui tu es» et «devine qui je suis»

La séduction dépasse les relations affectives et déborde largement sur la vie professionnelle, notamment en matière commerciale, et l’on sait que beaucoup de professions ont au moins un aspect commercial.
La recherche d’emploi par exemple est une forme de «vente» de soi-même.
A ce moment, tous les moyens sont bons pour agir sur les trois images de soi.

Dans une transaction au sens large (vente, embauche, engagement politique, séduction….) la finalité est l’optimisation de l’Imaginis, cette image que l’Autre a de vous. Or l’Autre précisément n’a de cesse que de déjouer la supercherie et de deviner quel est l’Imago, «la Vérité vraie».

Quant à vous, vous ne disposez pour agir que de votre Imagis, cette image que vous avez de vous-même et qui, vous l’espérez, correspondra au mieux à celle que vous souhaitez communiquer.

Dans la majorité des cas, nous vivons en établissant une harmonie entre ces trois images de Soi, mais si ce n’est pas le cas, apparaissent des tensions internes et des tensions entre Soi et les Autres. Ces dysharmonies peuvent être tout à fait temporaires et exprimer seulement «l’humeur du jour».
Mais il est clair que si, au cours des années, la majorité des Transactions aboutit à un échec, c’est que l’adéquation des trois Images de Soi est déficiente, et il faut apprendre à y remédier.

Si la plupart du temps, cette correction est intuitive et correspond, comme l’enseignait Claude Bernard, à une connaissance (de Soi en l’occurrence) par approche successive, il arrive aussi que cette approche ne se fasse pas ou qu’elle ne soit pas efficace pour des quantités de raisons qu’il est impossible d’étudier ici, et c’est là que peuvent intervenir des aides extérieures. Parmi ces aides extérieures, il faut citer :
Les psychothérapeutes qui vont travailler sur l’Imagis du sujet.
Une image de Soi forte et positive, (sans aller jusqu’à l’hypernarcissisme) semble nécessaire. On ne peut pas présenter un Imaginis positif en vivant un Imagis négatif.
Par contre, le renforcement de l’image de soi n’est pas toujours suffisant, notamment quand il existe une altération de l’Imago, une authentique altération du modèle, et c’est à ce stade que peuvent intervenir :
Les techniciens médicaux au premier rang desquels les chirurgiens plasticiens ou esthéticiens, dont l’action ne résulte que de l’échec de tout autre technique, mais dont le rôle est parfois fondamental.

 

 
CONCLUSION
 

Il ne fait aucun doute que l’apparence est le reflet, la traduction de nos états d’âme, de nos préoccupations, de nos tristesses et de nos colères. Au cours de la vie, cette traduction va évoluer considérablement :

Dans l’enfance, elle n’est que la traduction de ce que sont les parents

Si bien qu’à l’adolescence, l’apparence, symbole d’identité, est d’autant plus marquée que le souci de distanciation vis-à-vis de l’identité parentale est affirmé, et comme on retrouve la même revendication chez une majorité d’adolescents, cela conduit à des attitudes souvent identiques et du coup identitaires.

A la crise de l’age adulte, l’action sur l’Imago et la manipulation de l’Imaginis sont des occupations prioritaires qui traduisent la qualité et l’intensité des relations sociales.

Quant à la relation du sujet âgé avec son apparence, elle traduit bien souvent son intérêt, ou son détachement progressif, des préoccupations d’ici-bas, autrement dit sa relation avec la mort.

 



Docteur Xavier LATOUCHE
Paris.

 

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