Sexologos  n° 17

Janvier   2004 

CARREAU  S.

Publications

 

Les estrogènes, 
une hormone mâle ? 

 

Les estrogènes sont depuis longtemps considérés comme des hormones sexuelles typiquement femelles ; cependant, la présence d'estrogènes dans la gonade mâle est très documentée et la découverte de ces hormones a d'ailleurs été faite dans l'urine d'étalon par Zondek en 1934. 
Le cytochrome P450 aromatase (P450arom) est une enzyme responsable de la transformation irréversible des androgènes en estrogènes ; elle est présente dans le réticulum endoplasmique de pratiquement tous les tissus (notamment le cerveau, les gonades, le placenta, la glande mammaire et les tissus adipeux et osseux). L’aromatase est de fait impliquée dans le développement, la reproduction, la différenciation sexuelle et le comportement sexuel, les métabolismes osseux et lipidique, le fonctionnement du cerveau mais aussi dans de nombreux développements tumoraux ; son importance est capitale chez l'homme. Au niveau de la gonade mâle, l'aromatase est présente non seulement dans les cellules de Leydig mais aussi dans les cellules de Sertoli et, fait nouveau, dans les cellules germinales (pour revue Carreau et al, 2003). Récemment dans les spermatozoïdes éjaculés chez l’homme nous avons mis en évidence des transcrits spécifiques de l’aromatase ainsi que la protéine; par ailleurs le taux de ces messagers de l’aromatase est 30% inférieur dans les cellules immobiles par rapport aux spermatozoïdes mobiles (Lambard et al 2003). 


Comme toutes les hormones, les estrogènes agissent par l'intermédiaire de récepteurs spécifiques (ER) qui en tant que facteur de transcription vont moduler l'expression de gènes cibles. Avec la découverte en 1996 d'un récepteur nucléaire supplémentaire (ERß), le rôle de ces hormones, notamment au niveau de la mise en place du tractus génital mâle (Crescioli et al 2003). En outre dans le testicule ERß est présent dans les cellules de Sertoli et les germinales (spermatides rondes) alors que ERa est principalement localisé dans les cellules de Leydig (pour revue Saunders et al 2003). Enfin dans les glandes annexes (canaux efférents, glande uréthrale , et pénis notamment), les ER sont omniprésents (Mowa et al, 2001). 

Depuis longtemps on sait que la secrétion des gonadotrophines est contrôlée négativement par les hormones femelles; cependant de nombreux travaux plaident aujourd'hui en faveur d'un rôle physiologique direct des estrogènes dans la spermatogenèse ; ces résultats ont été démontré après l'administration d'antiestrogènes ou d’inhibiteurs de l’aromatase chez le singe où une réduction du nombre de spermatides allongées et de leur qualité a été observée. 
Par ailleurs les modèles expérimentaux de souris déficientes en aromatase (ArKO) ou en récepteurs aux estrogènes (ERKOa) a permis de réévaluer le rôle des estrogènes dans la physiologie générale (revue Carreau et al 2001).

Chez l’homme six cas de déficit en aromatase ont été recensés et pour trois d ’entre eux une anomalie de la spermatogenèse a été décrite (revue de Rochira et al 2003). La pathologie se traduit d’abord par des troubles de la croissance : ce sont des hommes de très grande taille compte tenu d’une croissance osseuse permanente mais d’une absence de minéralisation de l’os, ces observations sont à rapprocher des études récentes chez l’homme âgé présentant une ostéoporose consécutive à un déficit estrogénique (revue de Khosla et al 2003). En outre un hyperinsulinisme et une perturbation du bilan lipidique sont décrits chez ces patients dépourvus d’estrogènes. Concernant les fonctions de reproduction, il est clair que la fertilité des patients est altérée : Carani et al (1977) ont publié un tableau d’infertilité masculine chez un patient présentant une mutation homozygote inactivant le gène de l’aromatase : hypotrophie testiculaire associée à une oligo-asthénospermie très sévère (1 million de spermatozoïdes par ml et 100 % d’immobiles). Ce patient traité par l'estradiol a vu ses paramètres hormonaux revenir dans la normale alors que la testostérone était inéfficace (revue de rochiar et al 2003). En ce qui concerne les récepteurs aux estrogènes une seule pathologie est décrite chez l'homme: il s'agit d'une mutation portant sur le gène où l'exon 2 présente un codon stop en 157 (Smith et al 1994). L'étude du spermogramme a révélé une numération en spermatozoïdes correcte associée à une viabilité réduite (18%) avec des volumes testiculaires normaux. 

A côté de ces récepteurs classiques qui induisent des effets génomiques, des récepteurs membranaires fonctionnels pour les estrogènes ont été mis en évidence notamment dans le spermatozoïde ce qui coïncide bien avec la nécessité d’effets rapides mis en cause dans la réaction acrosomique et la capacitation de cette cellule (revue de Luconi et al 2002). 
Il est donc aujourd’hui évident que les estrogènes participent à la régulation des grandes fonctions de l’organisme pas seulement la reproduction, mais aussi au niveau vasculaire et osseux, et le rôle antiapoptotique des estrogènes a été bien démontré sur les ostéoblastes . En outre chez l’homme âgé, une corrélation directe a été mise en évidence entre la survenue des fractures osseuses et le taux d’estradiol biodisponible (Vermeulen et al 2002). Un autre aspect à considérer est celui de la protection vasculaire assurée en partie par les estrogènes via la présence de ces récepteurs membranaires sur les cellules endothéliales. Enfin il apparaît que certains aspects fonctionnels de la peau (secrétion des glandes sébacées,

croissance du poil) sont régulés par les estrogènes. De plus, le cerveau représente une cible privilégiée pour ces hormones femelles tant au niveau comportemental (observations rapportées chez les souris ArKO et ERKOa) que par rapport aux pathologies dégénératives tels l’Alzeihmer (pour revue Carreau 2003).

En somme les outils biochimiques et moléculaires disponibles aujourd’hui ont ouverts de nouvelles pistes pour réévaluer le rôle des estrogènes dans la physiologie masculine grâce à une meilleure connaissance de l’aromatase et des récepteurs aux estrogènes omniprésents.



Si la testostérone reste un régulateur essentiel, les estrogènes produits localement sont sans doute impliqués dans le contrôle des grandes fonctions et le dogme du «rôle dominant » des androgènes chez le mâle n’est plus d’actualité.

 

A l’aube de ce 21ème siècle il est tentant de spéculer sur la part grandissante que vont représenter l’aromatase et les estrogènes (récepteurs) dans l’aide au diagnostic et le THS « estrogénique » pourra devenir envisageable chez l’homme (qualité de l’os et des vaisseaux, qualité du spermatozoïde) mais les effets secondaires sur la prostate en particulier seront à prendre en compte. Les perspectives en Andrologie Sexologique restent à envisager ; cependant chez l’animal l’incidence de ces hormones femelles tant au niveau du tractus génital externe (Jesmin et al 2002) qu’au niveau du comportement sexuel (Simpson et al 2000) est établie.
Tableau. Récepteurs aux estrogènes (REa et REß) et aromatase (Arom) chez les primates.
Tissus /cellules

RE

RE

Arom(1)
Leydig + + +
Peritubulaire - - ?
Sertoli  - + +
Spermatogonie - + ?
Spcyte Pach. + + +
Sptid Ronde + + +
Spermatozoïde + + +
Canaux Eff. + + ?
Epididyme - + +
Ves.Seminale + + ?
Prostate - + +
Penis + + ?
+ : oui ; - : non démontré      
(1) Lambard et al , accepté J Molec Endocrinol.
Pour plus de détails voir revues Carreau et al, 2001; 2003 

 

S. CARREAU
Laboratoire Biochimie-IRBA, UPRES EA 2608-USC INRA, Université de CAEN

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