Quelles que soient les régions, les coutumes et les croyances philosophiques ou
religieuses, l'homme a toujours ressenti le besoin de recourir à des facteurs stimulants. Ils l'aident à répondre aux
exigences de ses appétits psychiques ou physiques et plus particulièrement ceux qui appartiennent au domaine
affectif.
Depuis des siècles au gré des climats et des latitudes, l’homme a recherché, pour atteindre ce but, divers stimulants
tels que le café, le thé, la coca, le tabac, l'opium, la bière et …le vin, objet de tous les soins lors de la culture
de la vigne, des vendanges et de la vinification depuis la plus haute antiquité en occident.
Qu'est-ce que le vin?
Le vin, par l'alcool qu'il contient, est un produit psycho-actif, donc agissant sur le système nerveux en modifiant
l'état de conscience et le comportement.
La diffusion de l’alcool dans le cerveau, provoque rapidement un effet desinhibiteur permettant une libération des
tendances refoulées : le vin est un aphrodisiaque mineur d'inauguration.
En relâchant les freins de l'inhibition le vin nous pousse à agir comme nous n'oserions jamais le faire quand nous
sommes sobres:
le poète romain Apulée écrivait déjà dans "L'âne d'or" : "le vin suffit à vaincre la lâcheté, la pudeur et à donner des forces pour le plaisir"
Dans la culture occidentale, cet effet va donc être utilisé dans une visée de socialisation à travers de nombreux
rites de la vie quotidienne: le buveur déguste un cocktail de convivialité et d'immortalité, il associe la boisson à
l'amour, à la joie.
Mais d’où viennent ces usages et ces rites ?
Du fait du manque d'information sur les périodes les plus anciennes de notre histoire, nous ne savons pas exactement
quand a été "inventé" le vin; probablement par hasard des populations de cueilleurs ont ramassé du raisin et l'ont
"oublié" provoquant la première fermentation.
En goûtant ce breuvage à la saveur étrange ils ont pu mesurer les effets bizarres provoqués par cette boisson... la
première ivresse était née, et sûrement la première desinhibition, mais aussi sûrement la première manifestation
divine expliquant ce mystère.
Les preuves formelles les plus anciennes datent de 3000 ans avant Jésus Christ dans des tombes de pharaons des
premières dynasties où l'on a retrouvé plusieurs sortes de vins dans des jarres portant même le nom du producteur et
le millésime!!
Dans ces sociétés on retrouve un rapprochement étroit entre sexualité et alcool: initiation à la fois cosmique et
érotique : les religions vont attribuer une valeur mystique à cette association: les Mésopotamiens, les Egyptiens,
les Juifs, les Grecs les Romains et enfin les chrétiens dans le monde occidental, symboliquement mangeaient la chair ou
buvaient le sang de la divinité pour fusionner avec elle.
Le plus souvent le sang a été bu sous forme de vin: l'ébriété étant associée originellement à la divinité féminine.
L'origine du vin est l'objet de bien des légendes:
En Egypte, Osiris, fils du ciel et de la terre et époux d'Isis fut le premier à planter de la vigne. Par la suite,
les fêtes religieuses étaient clôturées par des banquets au cours desquels hommes, femmes et prêtres, buvant de
grandes quantité de vin jusqu'à l'aube, écoutaient des joueurs de musique en regardant évoluer des danseuses très
dévêtues selon la mode d'alors.
A la même époque, en Perse, dans les banquets en l’honneur des dieux, les mets et les vins sont servis par de jeunes
eunuques, roi et invités s'enivrent copieusement et la fête se finit en orgie.
Dans la mythologie grecque, c'est Dionysos qui est l'inventeur du vin d'où le culte qui s'ensuivit.
Dionysos est le fils de Zeus et d’une mortelle. Pour fuire la vindicte d'Héra, femme de Zeus, il se réfugie dans une
grotte où il est élevé par des nymphes, il plante la première vigne et fait goûter son vin à ses nourrices; se
rendant compte de ses effets bénéfiques, il décide alors de faire partager sa découverte aux hommes.
AThèbes, il organise des festins, les dionysiaques auxquels participent des femmes les Ménades ; ces orgies faisant
scandales, le roi de la ville le chassa.
Toutes les menaces et les fuites dont fut victime Dionysos ne sont en fait que l'expression mythologique de
l'opposition des conservateurs de l'ordre face au vin et à ses effets enivrants permettant toutes les transgressions.
A la suite de cette histoire mythologique, les Grecs ont honoré Dionysos dans des fêtes restées célèbres : ces
dionysiaques réunissaient des femmes, danseuses et hétaïres. Certes, elles buvaient beaucoup de vin, mais l'ivresse
était encore plus celle de la danse en l'honneur du dieu et de la transe provoquée par la possession du dieu. Les
hommes qui y participaient se déguisaient souvent en femme. Quant à leurs épouses elles étaient exclues de toute vie
sociale, demeurant au gynécée et ne buvant pas de vin réputé provoquer stérilité et avortements.
Dans la Genèse, ce fut Noé qui le premier planta de la vigne en sortant de son Arche après le déluge et il fut aussi
le premier a en découvrir les effets desinhibiteurs: "ayant bu du vin, il s'enivra et parut nu dans sa tente" nous
relate l’ancien testament ; son fils Cham l’ayant vu et n’ayant pas détourné son regard sera maudit par Noé, réveillé de son ivresse
: "Maudit soit Canaan! Qu'il soit l'esclave des esclaves de ses frères» !
Nous avons ici relaté le premier épisode d'ivresse associé à la notion de honte de la nudité et de faute grave
amenant une punition.
Un autre épisode de la Genèse va démontrer que l'ivresse peut amener-la
transgression de l'interdit de l'inceste: Loth a fui Sodome avant sa destruction et s'est réfugié dans une caverne avec ses deux filles : "Notre père est âgé,
il n'y a plus d'hommes dans le monde, pour s'unir à nous selon l'usage de toute la terre. Eh bien! Enivrons de vin
notre père, partageons sa couche, et par notre père nous obtiendrons une postérité." Leur stratagème ne fut pas
découvert par leur père qui conçut ainsi des descendants bien malgré lui : les Moabites et les Ammonites.
La bible fustige également l'usage immodéré du vin associé aux orgies comme le montre l'histoire du roi Balthazar: il
avait pillé le temple de Dieu à Jérusalem et buvait dans ces vases volés avec ses 1000 invités, ses femmes et ses
concubines.
Dieu écrivit trois mots sur un mur au cours de ce banquet: « Dieu a compté les jours de ton règne et y a mis fin »;
Balthazar fut tué dans la nuit qui suivit cette dernière orgie.
A travers ces trois exemples de l'ancien testament nous voyons se mettre en place la condamnation de l'usage immodéré
du vin conduisant à des déviances: l'exposition du corps nu, l'inceste et l'orgie et les punitions qui sont
associées à la transgression.
Peu à peu va se définir une lutte contre ces pratiques, ainsi dans l'Ecclésiaste écrit au IIIème siècle avant notre
ère: "le vin a perdu bien des gens...
Gaîté du cœur et joie de l'âme, voilà le vin qu'on boit quand il faut et à sa suffisance.
Amertume de l'âme, voilà le vin qu'on boit avec excès par passion et par défi."
On se rend compte de l'importance que tenait le vin à cette époque car la bible le cite 450 fois!!! Pour fustiger son
usage immodéré, mais aussi pour conseiller son bon usage symbolique comme dans l’épisode des Noces de Cana où il sert
à célébrer l’union dans le mariage.
Il n'est donc pas étonnant à la vue de ces réflexions que, dans le Nouveau Testament, lors de la Cène, le vin soit
devenu pour tous les chrétiens, par la substanciation, le sang du Christ.
Lorsque cette nouvelle religion va se répandre, elle va se heurter aux pratiques bien différentes en particulier en
Italie.
La culture et la mythologie grecques ont imprégné profondément la vie romaine:
les romains importèrent le culte de Dionysos rebaptisé Bacchus,
Ainsi Xénophon (430-355 av. JC) dans le "Banquet" décrit bien les orgies romaines:
« l'hôte a engagé une joueuse de flûte, une danseuse experte en acrobaties et un jeune garçon très beau qui excelle
au jeu de la cithare. Tout en buvant considérablement, on regarde évoluer ces jeunes gens, le corps presque nu.
Ils mimèrent dans un ballet les amours de Dionysos et d'Ariane prenant les attitudes des amants qui se baisent et
s'entre touchent d'un tel réalisme que les convives en perdirent la tête. »
Seules les femmes associées aux plaisirs sexuels des hommes – prêtresses, musiciennes, danseuses et courtisanes-
pouvaient boire du vin.
Le vin pur le Ténétum était réservé aux libations sacrées du culte de Dionysos ; il était réputé avoir un dangereux
pouvoir enivrant car il provoquait le "furor" permettant aux fidèles toutes les licences.
Peu à peu, cependant avec la diffusion de la nouvelle religion chrétienne ces rapports entre vin et sexualité vont
considérablement évoluer: de moyen d'entrer en communication avec le dieu en se livrant à des orgies, le vin acquiert
une nouvelle dimension: sang du Christ lui-même consommé avec extrême modération et dans des circonstances bien
définies,
Cela fit penser aux romains traditionalistes que les chrétiens tempérants et chastes étaient des gens tristes, ne
sachant pas vivre comme eux dans les fêtes en l'honneur des dieux et l'intempérance, ce qui les rendit de plus en
plus suspects et provoqua de terribles répressions, les chrétiens emprisonnés finissant leur vie dans les jeux du
cirque jusqu'en 313 après Jésus Christ où l'empereur Constantin leur accorda la liberté de culte.
L'islam cinq siècles après Jésus Christ, apparut en Arabie, l'islam qui codifiera, aussi, les relations entre les croyants et
le vin dans diverses sourates du Coran:
IV -43: " vous qui croyez, n'approchez la prière ni en état d'ivresse, afin de savoir ce que vous dites, ni en état
d'impureté,... ou ayant touché une femme."
Quant à la vision de la nudité révélée à autrui, elle apparaît comme plus tôt dans la Bible comme une honte:
VII -26: "O fils d'Adam, nous avons fait descendre sur vous une vêture pour cacher votre honte."
VII -31: "O fils d'Adam, revêtez votre parure en toute occasion, mangez et buvez, mais sans excès: Il n'aime pas la
démesure."
VII -28: "quand ils pratiquent la turpitude, ils disent: "nous l'avons trouvée en usage chez nos pères, Dieu nous l'a
donc prescrite", dis: "quant à Dieu, il ne prescrit pas la turpitude!"
Ces préceptes eurent beaucoup de mal à se répandre et à être respectés dans un premier temps, tant dans ces régions
étaient ancrées les traditions ancestrales.
On va donc voir ces interdits longtemps transgressés: les califes de Damas (660-711) ont fait représenter sur les
murs des pavillons de chasse où se déroulent
danses et festins des danseuses dévêtues : le vin est servi par un échanson, jeune éphèbe d'une quinzaine d'années,
esclave persan chrétien qui est chargé de se le procurer auprès des marchands juifs ou des couvents chrétiens.
Ces échansons furent chantés par de célèbres poètes persans comme Abû Nawas
" Qu'on lui donne du vin pour qu'il se laisse faire, Et dénoue en jouant ses pantalons bouffants."
Ou Omar Khayyâm: " Une coupe de vin équivaut à cent cœurs et cent fois,
Une gorgée équivaut à toute la Chine, Quelle amertume en ce bas monde peut, dis-moi, Se comparer avec milles douces poitrines."
Bien sûr ces pratiques ne reflétaient qu'une partie des pratiques des populations orientales. L'Islam se répandant au
fil des siècles elles deviendront de plus en
plus minoritaires, sans toutefois disparaître totalement car dans toute société, chaque fois qu'existe un interdit,
une transgression apparaît.
Nous pourrions multiplier les exemples jusqu'à nos jours, mais est-ce nécessaire?
Nous voyons bien se dessiner une division essentielle en ce qui concerne l'humanité occidentale:
- les religions polythéistes où vin et sexualité permettent d'entrer en symbiose avec les dieux vénérés.
- les religions monothéistes les plus anciennes où il y a dissociation entre vin et sexualité: le vin, bu avec
modération, est un symbolisme de rite religieux et la sexualité est prônée au niveau du couple légitime en vue de
reproduction.
- l'Islam, qui a finalement interdit la consommation de vin.
Depuis Adam et Ève, les religions monothéistes ont essayé de faire comprendre à l'homme que suivre son instinct le
conduisait à un comportement animal.
Le poète Omar Khayyâm disait de l'homme : "Le paradis et l'enfer sont en toi"
Finalement, nous devrions essayer de suivre les sages conseils de l'Ecclésiaste:
" Mange ton pain dans l'allégresse et bois ton vin d'un cœur joyeux;
mets tout le temps des habits de fête, n'épargne pas les parfums pour ta tête;
jouis de la vie avec la femme que tu aimes, tous les jours de l'existence éphémère que l'On t'accorde sous le soleil,
car c'est là ta meilleure part dans la vie".
|