Nous avons
franchi le
Rubicon : la majorité
d’entre nous a voté notre
adhésion à la Fédération
avec l’AIHUS. Cette décision
difficile, dont la discussion
a nourri nos Assemblées générales
et nos Conseils d’administration
depuis plusieurs années, a été prise le
samedi 23 janvier 2010: décision historique.
La gestation en a été longue et l’accouchement
laborieux, heureusement
notre Président est un obstétricien patient
et compétent. Dire que cette décision a
été prise dans un enthousiasme général
serait beaucoup dire. Certains, dont je
comprends les motifs, ont préféré s’abstenir,
d’autres, dont je suis, ont voté oui avec
regret et nostalgie. Il ne faut pas y voir une
hostilité quelconque envers
l’AIHUS, mais simplement le regret de
n’avoir pas su ou pu maintenir seule et
vivante la Société qui nous avait été
confiée par les membres fondateurs, la
nostalgie d’une certaine atmosphère amicale,
j’allais presque écrire familiale, la nostalgie
également d’une conception de la
sexologie non seulement comme spécialité
médicale mais comme part entière des
Sciences Humaines, et je dois ajouter que
le libéral convaincu que je suis appréciait
particulièrement l’indépendance absolue
de la SFSC vis-à-vis de toute institution
officielle.
Mais il faut bien admettre que la société
en général a changé et la sexologie également.
La prise en charge de l’enseignement
de la sexologie par l’Université nous
a privés de cette ressource. A ce propos on
ne peut que féliciter chaleureusement
ceux d’entre nous qui, au prix d’ un travail
considérable, nous
ont donné accès à
ce que dans mon
ignorance j’appellerais
en gros un
enseignement
post-universitaire.
L’apparition de
médicaments «sexo-actifs» a accru le pouvoir
des Laboratoires Pharmaceutiques et
nous savons que nos congrès ne pourraient
vivre sans leurs subventions, elle a
par ailleurs très logiquement orienté la
sexologie vers une conception plus médicale
de notre pratique et nous avons de
plus en plus entendu parler de «Médecine
sexuelle». Il faut reconnaître que le
Sildenafil et les molécules qui en sont
issues ont permis des progrès scientifiques
importants dans la compréhension
de la physiologie de l’érection, nous rappelant
- et c’est parfois nécessaire - que la
sexualité est aussi soumise aux vicissitudes
du corps et de son vieillissement.
Freud lui-même a toujours été soucieux
de ne pas couper ses recherches sur le
psychisme de la neurophysiologie.
Mais il faut également se garder d’une
évolution regrettable vers une forme
moderne d’hygiénisme, vers une médecine
sexuelle normative, intrusion du pouvoir public médical dans l’intime du
sexuel, nouveau « dispositif de sexualité»
pour reprendre la formule de Michel
Foucault. Nous savons très bien qu’aucune
molécule ne résoudra durablement le
problème d’une impuissance érectile chez
un homme encore jeune, ni l’absence ou
la perte de désir chez une
jeune femme mais nous
devrons lutter contre cette
croyance et cette attente de
la population y compris
médicale, croyance et attente
entretenue par les médias
et la publicité, sinon notre
spécialité disparaitra au profit des médecins
généralistes d’un côté, des psychiatres
et des psychologues de l’autre.
Il me semble que c’est à ce niveau que
la SFSC va pouvoir et devoir continuer à
faire entendre sa voix spécifique plus que
dans un domaine purement scientifique
où nous avons peut-être moins de
moyens que l’AIHUS.
Quoiqu’il en soit regrets et nostalgie
appartiennent au jadis et s’y complaire
serait mortifère. Avoir fait le choix de la
Fédération, c’est se tourner vers l’avenir :
on n’avance qu’en quittant.
Pour ma part je suis très heureux que
vous m’ayez confié la présidence de
l’Académie des Sciences Sexologiques et
je vous en remercie. Je souhaite qu’elle
reste grâce à vous le dernier bastion d’une
certaine idée de la sexologie. J’ai pensé
pour l’an prochain à un sujet que je vous
soumets :
«La sexualité est-elle un mode d’expression?»
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