BILLET D’HUMEUR
de Claude ESTURGIE.
 

 

Nous avons franchi le Rubicon : la majorité d’entre nous a voté notre adhésion à la Fédération avec l’AIHUS. Cette décision difficile, dont la discussion a nourri nos Assemblées générales et nos Conseils d’administration depuis plusieurs années, a été prise le samedi 23 janvier 2010: décision historique. La gestation en a été longue et l’accouchement laborieux, heureusement notre Président est un obstétricien patient et compétent. Dire que cette décision a été prise dans un enthousiasme général serait beaucoup dire. Certains, dont je comprends les motifs, ont préféré s’abstenir, d’autres, dont je suis, ont voté oui avec regret et nostalgie. Il ne faut pas y voir une hostilité quelconque envers l’AIHUS, mais simplement le regret de n’avoir pas su ou pu maintenir seule et vivante la Société qui nous avait été confiée par les membres fondateurs, la nostalgie d’une certaine atmosphère amicale, j’allais presque écrire familiale, la nostalgie également d’une conception de la sexologie non seulement comme spécialité médicale mais comme part entière des Sciences Humaines, et je dois ajouter que le libéral convaincu que je suis appréciait particulièrement l’indépendance absolue de la SFSC vis-à-vis de toute institution officielle.

Mais il faut bien admettre que la société en général a changé et la sexologie également. La prise en charge de l’enseignement de la sexologie par l’Université nous a privés de cette ressource. A ce propos on ne peut que féliciter chaleureusement ceux d’entre nous qui, au prix d’ un travail considérable, nous ont donné accès à ce que dans mon ignorance j’appellerais en gros un enseignement post-universitaire.
L’apparition de médicaments «sexo-actifs» a accru le pouvoir des Laboratoires Pharmaceutiques et nous savons que nos congrès ne pourraient vivre sans leurs subventions, elle a par ailleurs très logiquement orienté la sexologie vers une conception plus médicale de notre pratique et nous avons de plus en plus entendu parler de «Médecine sexuelle». Il faut reconnaître que le Sildenafil et les molécules qui en sont issues ont permis des progrès scientifiques importants dans la compréhension de la physiologie de l’érection, nous rappelant - et c’est parfois nécessaire - que la sexualité est aussi soumise aux vicissitudes du corps et de son vieillissement.
Freud lui-même a toujours été soucieux de ne pas couper ses recherches sur le psychisme de la neurophysiologie.

Mais il faut également se garder d’une évolution regrettable vers une forme moderne d’hygiénisme, vers une médecine sexuelle normative, intrusion du pouvoir public médical dans l’intime du sexuel, nouveau « dispositif de sexualité» pour reprendre la formule de Michel Foucault. Nous savons très bien qu’aucune molécule ne résoudra durablement le problème d’une impuissance érectile chez un homme encore jeune, ni l’absence ou la perte de désir chez une jeune femme mais nous devrons lutter contre cette croyance et cette attente de la population y compris médicale, croyance et attente entretenue par les médias et la publicité, sinon notre spécialité disparaitra au profit des médecins généralistes d’un côté, des psychiatres et des psychologues de l’autre.

Il me semble que c’est à ce niveau que la SFSC va pouvoir et devoir continuer à faire entendre sa voix spécifique plus que dans un domaine purement scientifique où nous avons peut-être moins de moyens que l’AIHUS.

Quoiqu’il en soit regrets et nostalgie appartiennent au jadis et s’y complaire serait mortifère. Avoir fait le choix de la Fédération, c’est se tourner vers l’avenir : on n’avance qu’en quittant.

Pour ma part je suis très heureux que vous m’ayez confié la présidence de l’Académie des Sciences Sexologiques et je vous en remercie. Je souhaite qu’elle reste grâce à vous le dernier bastion d’une certaine idée de la sexologie. J’ai pensé pour l’an prochain à un sujet que je vous soumets :
«La sexualité est-elle un mode d’expression?»


 
J’ai pensé pour l’an prochain à un sujet que je vous soumets : «La sexualité est-elle un mode d’expression ?
 

Dr Claude ESTURGIE
Président de l’Académie des Sciences Sexologiques

Retour

  •  

  •